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Rigueur et initiative

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| 03 Juin 2010 | 26213 vues
Editorial du COM.LE du Képi blanc N° 722

Nous avons en grande partie bâti notre réputation opérationnelle sur notre discipline et notre rigueurdans la conduite de nos missions. Aujourd'hui encore, ce sont la maîtrise de soi, le sang-froid et la discipline de feu qui sont à la source de la réussite de nos unités engagées en Afghanistan et de la reconnaissance qui leur est témoignée.

Pourtant, cette discipline que nous avons érigée en vertu et que nous assumons sans crainte ne se suffit pas à elle-même. Nous savons bien qu'elle ne doit en aucun cas se transformer en une rigidité formelle susceptible de limiter la prise d'initiative et la souplesse. L'image stéréotypée d'une troupe solide et fiable, mais "lourde", que nous prêtent volontiers certains, doit nous rappeler que la rigueur de notre discipline est loin de constituer notre seule force, et qu'il nous faut aussi cultiver l'esprit d'initiative tel qu'il s'est imposé dans nos rangs, sans discontinuité, tout au long de notre histoire. Elle nous permet également, au passage, d'apprécier ce que valent certaines idées reçues...

Il est vrai que les deux notions de rigueur et d'initiative peuvent sembler mal conciliables, surtout dans un cadre opérationnel:

  • la rigueur c'est une planification stricte, des ordres précis, une exécution méthodique, un contrôle renforcé, des comptes-rendus fidèles ;
  •  à l'inverse, l'initiative c'est l'adaptation, la liberté d'action, les marges de manoeuvre que l'on peut prendre, la plénitude de la responsabilité.

Pour autant, rigueur et initiative ne sont pas opposables ; il s'agit au contraire d'être en mesure de les combiner, en toutes circonstances. Au combat, notre histoire nous montre qu'on peut être à la fois une belle "machine de guerre", une mécanique "bien huilée", et une troupe agile et réactive. Une des clés du succès consiste précisément dans notre capacité à passer d'un style à l'autre en fonction de la situation et des impératifs de la mission.

Pour y parvenir, les notions de discipline intellectuelle, de subsidiarité et d'intelligence de situationsont fondamentales :

  • savoir accorder davantage d'importance à l'esprit des ordres reçus qu'à leur lettre ;
  •  accepter de confronter les points de vue et de prendre en compte les bonnes idées de nos subordonnés, en amont de la prise de décision ;
  • compter sur leurs facultés de réflexion dans l'analyse des situations ;
  • tolérer en aval, dans la mise en oeuvre, une certaine "flexibilité encadrée", chaque initiative devant faire l'objet d'un compte-rendu.

Nous savons depuis longtemps déjà qu'il faut promouvoir ces dispositions d'esprit, en se souvenant que le chef n'a pas le monopole de la réflexion et de l'ingéniosité.

Cette question est importante pour nous autres légionnaires : c'est celle de l'équilibre à préserver entre la discipline formelle ancrée dans notre culture et une certaine forme de liberté dans l'appréciation et dans l'exécution des ordres reçus telle que nous l'avons toujours pratiquée :

  • l'obstacle de la langue et l'extrême diversité de notre population nécessitent un contrôle accru pour éviter le risque d'une mauvaise interprétation, pour conserver l'ordre et la cohérence ; notre souci de perfection et notre goût du travail bien fait peuvent également nous conduire à privilégier une exécution strictement contrôlée, dans une logique de "drill" ;
  •  mais la richesse de notre recrutement doit aussi nous inciter à permettre la prise d'initiative car nous disposons d'hommes expérimentés, intelligents et imaginatifs qui ont montré qu'ils étaient capables de trouver des solutions originales et de "varianter" quand les circonstances l'imposent ; les facultés d'adaptation de nos légionnaires ne sont plus à démontrer.

Sachons donc "tempérer" notre discipline légionnaire et continuer à cultiver notre aptitude à conjuguer la rigueur et l'initiative. C'est dès le temps de paix qu'il faut prendre l'habitude de mieux encourager la réflexion et la souplesse dans les tâches les plus basiques, jusqu'aux plus bas échelons de la hiérarchie ; car, dans la préparation et dans l'exécution des missions, il faut se souvenir que la fidélité plus que la seule rigueur doit être la règle. L'esprit d'initiative est une vertu de l'opportunité et du possible, une vertu de responsabilité, une vertu légionnaire.

Bonne lecture à tous

Général de brigade Alain BOUQUIN