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« Camerone d’hier et de toujours ! »

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| 10 Mai 2018 | 15183 vues

“ J’ai assisté à de grandes batailles, et je suis encore dans l’étonnement. Oui, je m’étonne que de simples hommes puissent accomplir de telles oeuvres. ”

“ J’ai assisté à de grandes batailles, et je suis encore dans l’étonnement. Oui, je m’étonne que de simples hommes puissent accomplir de telles oeuvres.

Paroles ont été prononcées en chaire par le Père Lanusse en l’église de Saint-Augustin à Paris le 11 novembre 1890, lors de la messe dite à l’époque annuellement pour les militaires le jour de la Saint-Martin. Ayant connu les combats de Sébastopol, Malakoff, Magenta et Puebla, le Père Lanusse était, lors de ce prêche, aumônier de l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr. Son sermon toucha à tel point un journaliste, M. Boyer d’Agen, que ce dernier lui rendit visite à Saint-Cyr, lui fi t témoigner de ses campagnes, et lui prit un manuscrit de 200 pages, écrit d’après les témoignages recueillis auprès du tambour Laï le 1er mai 1863 dans l’hacienda de Camerone. M. Boyer d’Agen fi t éditer ce manuscrit sous le titre “ les héros de Camaron ”. Le Père Lanusse dédicaça l’ouvrage avec le général Saussier, gouverneur militaire de Paris, et ancien commandant du poste isolé de Paso del Macho, situé à quelques kilomètres de Camerone. Malchanceux parce qu’il n’avait pas entendu le fracas du combat pour cause de vent contraire, le capitaine Saussier ne put porter secours aux hommes du capitaine Danjou, le 30 avril 1863. On trouve également écrit que le Père Lanusse, accompagné du colonel Jeanningros et du capitaine Saussier, s’agenouilla le 1er mai dans les décombres encore fumants de l’hacienda, et y bénit la main articulée du capitaine Danjou, par miracle retrouvée au milieu des débris incendiés de la bataille. Le dernier dimanche d’avril, le Père Lanusse ne manquait jamais d’évoquer les héros de Camerone devant les Saint-Cyriens. C’est pour cette raison que Jean des Vallières, lui-même ancien Saint-Cyrien puis offi cier de cavalerie, démissionnaire puis légionnaire, qualifi a le Père Lanusse, aujourd’hui toujours adulé par les Saint- Cyriens, de premier historien de Camerone.

À ces simples hommes qui accomplirent de telles oeuvres, le colonel Milan dira : “ on ne refuse rien à des hommes comme vous. ” Le caporal Berg était l’un d’eux et reste célèbre pour son compte rendu au général Jeanningros : “ la 3e du 1er est morte, mon colonel, mais elle en a assez fait pour que, en parlant d’elle, on puisse dire : “ elle n’avait que de bons soldats ” ”. Ces simples hommes nous ont laissé un legs et un signe d’espérance que traduisit si bien le chef de bataillon Regnault dans la conclusion de son rapport sur la bataille de Camerone : “ quand l’occasion s’en présentera, son Excellence trouvera dans toutes les compagnies du Régiment étranger la même solidité que dans la compagnie de Camerone. ” Ces trois dernières années, j’avais développé dans l’éditorial du KB Camerone chacune de ces citations. Cette année, je voudrais tout simplement tenter d’expliquer en quelques mots, qu’à la Légion, si de simples hommes peuvent accomplir de telles oeuvres, c’est que chaque légionnaire, quel que soit son grade, et grâce au rituel, sent intimement l’esprit de Camerone qu’il ne peut toujours exprimer clairement.

C’est ce qu’écrivait si bien Georges Manue, cinq fois cité, et qui par trois fois s’engagea à la Légion étrangère, en 1921 lors de la guerre du Rif, en 1939 au 11e REI où il fut blessé, prisonnier puis évadé, et en 1944 au RMLE : “ Quand tout est perdu pour le légionnaire au baroud, du fond de la mémoire jaillit l’impérieux souvenir, ancré là par tant de commémorations solennelles : Camerone. Il lui dicte son ultime détermination. ” C’est bien la solennité du rite annuel de Camerone, et la tradition si vivante de son esprit, qui permettent aux légionnaires de tous grades de refaire chaque année le serment de Camerone, à leur manière, et dans leur for intérieur. Et ce, dès le premier Camerone du légionnaire qui ne comprend pourtant pas tout ce qui est dit, mais qui sent que la famille légionnaire, du plus jeune jusqu’aux morts, se rassemble. Georges Manue le mentionnait dans l’article Camerone d’hier et de toujours paru dans un Képi blanc de 1952, lorsqu’il relatait son premier Camerone trente ans auparavant au Maroc :

“ L’adjudant avait un réel prestige sur la troupe, qu’il devait à un courage connu, à une rudesse équitable et à une endurance à la fatigue dont de plus jeunes s’émerveillaient. Il était fi er de l’honneur qui lui revenait : lire le condensé du combat de Camerone. Les légionnaires écoutaient de tout leur visage tendu. Beaucoup ne comprenaient pas ces phrases françaises, concises et martelées. Tous avaient l’obscure conscience qu’ils participaient à quelque chose de religieux où le sens des termes importait peu. Le capitaine parla ensuite, bref à souhait mais accessible. Le vent, souffl ant par rafales, emportait des mots familiers : Légion, camarades, courage, discipline, fi délité, mort. Autant de graines qui lèveraient le moment venu. Les rangs rompus, nous partîmes vers les guitounes. Le repas fut bon, le vin suffi sant. Et les hommes entre eux racontaient à leur manière l’épisode de Camerone, ajoutant un fi l de leur imagination au récit, déjà tout entre-tissé de légende… ”

Dans ces lignes de Georges Manue, tout est dit de l’esprit de Camerone par ailleurs si bien décrit ultérieurement lors des cérémonies du centenaire par le général Olié, qui citait en premier l’obéissance consentie sans réserve à un chef en qui l’on a pleine confi ance parce qu’il a conquis l’estime et l’attachement de tous. Cet adjudant, il y a presque cent ans, nous donnait la route à suivre : “ courage connu, rudesse équitable, et endurance à la fatigue dont de plus jeunes s’émerveillaient ”. Je souhaite pour ce Camerone 2018 que l’exemple de cet adjudant et de ses hommes nous aide, quels que soient notre grade et notre ancienneté, “ à accomplir de telles oeuvres ”.

Joyeux Camerone !

Par le Général de division Jean Maurin commandant la Légion étrangère
(Képi-blanc Magazine N°809)