Le faiseur de Bonaventure

Général Alain Lardet

Commandant la Légion étrangère

 

Avez-vous déjà rencontré un inventeur de trésor ?

Cela m’est arrivé le 17 mai dernier. Nous recevions à la Maison-mère, Maître Luc Hafner, avocat et colonel de réserve de l’armée suisse, vice-président de la fondation Nordonia et légionnaire d’honneur. L’objet de sa visite n’était pas pour cette fois, le financement généreux et précieux d’un nouvel équipement à Puyloubier au profit de nos anciens et de nos légionnaires blessés. Notre légionnaire de 1re classe d’honneur avait “quelques archives” à remettre au Musée de la Légion étrangère, documents sauvés une première fois de la destruction, une seconde fois d’une vente aux enchères. Le patrimoine est sacré mais ma mission du moment l’était aussi par définition, et c’est l’esprit distrait que j’ai rejoint la salle d’honneur où m’attendaient une délégation d’officiers et Maître Hafner. Sans notre inventeur, en cela l’expression est éloquente, je serais passé à côté d’un trésor. 

Devant les portraits des chefs de corps morts au combat, dont le colonel Raphaël Vienot, chef de corps du 1er Régiment étranger de la seconde Légion, devant le tableau des combats de Camerone d’Adolphe Beaucé, 145 pièces d’archives authentiques, remarquablement conservées couvraient la grande table de cette salle, préambule à la crypte, reconstruite à l’identique de celle de Sidi Bel Abbes. Toute la vie militaire de Bonaventure Meyer, citoyen suisse était là, autopsiée. 145 documents de 1825 à 1895 dissèquent la vie d’un des premiers officiers à titre étranger de la Légion étrangère. Né en 1804, il rejoint à seize ans le 2e Régiment d’infanterie suisse de ligne où il gravira les échelons jusqu’au grade de lieutenant, obtenu en 1828. Licencié en 1830, il est intégré le 20 juillet 1831 dans son grade de lieutenant, à cette troupe nouvellement créée, la Légion étrangère. L’acte d’engagement est émouvant. Sous en-tête du Ministère de la guerre, bureau de l’infanterie, il nous transporte au commencement de l’aventure des hommes sans nom : “Le Ministre secrétaire d’État de la Guerre prévient Monsieur Mayer, Bonaventure, Lieutenant suisse, qu’il est désigné pour un emploi de lieutenant dans la Légion étrangère. Il se rendra sur le champ à Bar-le-Duc … ”. L’imagination s’affole, la table des traditions est prête à ouvrir la bonne aventure de ce jeune lieutenant de 27 ans. 1835, le lieutenant major Meyer est promu capitaine au corps et a déjà eu “un cheval tué sous lui par l’ennemi”. La pièce d’archive suivante nous projette dans la douloureuse campagne contre les Carlistes : “Le 27 juillet 1835, passé avec la Légion étrangère au service d’Espagne”.

Notre capitaine s’illustrera dans cette campagne de triste mémoire pour la Légion. Blessé puis décoré à deux reprises, une archive signée de la reine Isabelle en atteste, promu chef de bataillon, il cumulera les actions d’éclats jusqu’à sa démission du service de la Légion d’Espagne en février 1838. Il est réintégré par ordonnance royale comme capitaine au 2e Régiment de la Légion étrangère le 8 juillet de la même année. Ainsi va l’aventure du capitaine Meyer, redevenu chef de bataillon en 1844, admis à la retraite en 1851, réintégré avec le grade de colonel au 1er régiment de la 2e Légion étrangère. Il prendra le commandement du 1er Étranger en 1856, se mariant la même année, pour définitivement prendre sa retraite en 1858 en recevant la croix de commandeur de la Légion d’honneur. Les documents sont tour à tour émouvants, drôles, touchants même : certificats de blessures attestées par plusieurs témoins, ordres de promotions, notation des officiers sous ses ordres dont un certain sous-lieutenant Burchard, noté de conduite mauvaise du fait de son incorrigible habitude de contracter des dettes mais qui reste néanmoins très capable. Une correspondance avec l’Élysée mérite d’être citée. Le colonel Meyer plaide sa cause auprès du maréchal Ministre de la Guerre pour se soustraire au remboursement de la somme de mille francs, disparue au camp de Sathonay, dont il est tenu pour responsable. Le vol de la solde du régiment “ne pouvait lui être imputée par l’intendance compte tenu des précautions prises”. De plus, “Votre Excellence n’ignore pas non plus, les sacrifices pécuniaires qui ont été faits par le lieutenant-colonel et par moi pour la formation (création) de la musique… Je sais bien que cela était une chose facultative… Je le fis à ce double point de vue : qu’une musique organisée pouvait être un attrait pour de jeunes soldats, relever leur moral et empêcher les désertions qui m’affligeaient profondément et qui devenaient une véritable épidémie. Je ne reculai, dès lors, devant aucuns sacrifices pour assurer la formation du régiment que j’avais plus à cœur que tout autre.”

Notre pauvre colonel reçut en retour une fin de non-recevoir. Sa bonne aventure prit fin et il mourut quelques semaines avant le combat de Camerone dans sa ville natale de Suisse délesté de ces mille francs. Presque deux siècles plus tard, la Musique de la Légion étrangère se produira le 18 juin prochain à l’Olympia en hommage aussi à Bonaventure Meyer. Nous vous attendons nombreux pour ce concert caritatif, afin de pouvoir rendre au
1er Étranger les mille francs qui lui font défaut ! 

En attendant, il me tient à cœur de remercier notre inventeur de trésor. Merci cher Maître, cher légionnaire honoraire, merci de nous faire voyager au commencement de la Légion. Vous êtes le faiseur de Bonaventure !

 

                                                                                                                                                             

                         

Général Alain Lardet

Commandant la Légion étrangère

Editorial Képi Blanc - JUIN 2023

 

 

| Ref : 790 | Date : 15-06-2023 | 3899